Le jeu du complot
« La photographie n’informe pas. Elle ment toujours. Par omission. Mais elle ment vraiment quand ceux qui la diffusent prétendent en faire la preuve d’un fait fictif […] Les photos sont des pièces à conviction à mettre en doute. »[1]
C’est toute la dialectique de la vérité et du mensonge inhérente au statut des images qui traverse l’œuvre de Thierry Verbeke. COPYFREE-IMAGEBANK.COM, la banque d’images en ligne accessible gratuitement, work in progress qui s’étoffe au fil du temps de nouvelles images créées de toute pièce[2] , constitue en cela une sorte de superstructure qui exemplifie les recherches menées par l’artiste depuis les premières pièces. Sa connaissance des procédés de fabrication de l’image, qu’elle soit fixe ou en mouvement, le mène depuis les expérimentations initiales sur le mixage entre éléments réels et issus de fictions (Réalité 3, Sweet Home) à épuiser la méfiance instinctive à leur égard qu’il tente de nous faire partager.
Thierry Verbeke construit patiemment, avec la constance d’un observateur assidu de l’histoire en marche, des Chevaux de Troie . Tentation du justicier à qui on ne la fait pas, qui traque les signes de manipulations d’images produites par les mass-media et utilisées par le pouvoir politique à des fins propagandistes. Il y a d’ailleurs quelque chose d’une rhétorique guerrière tant dans la méthodologie qu’il emploie, dans l’attention ciblée sur les représentations des instances militaires ou des faits s’y rapportant (Ida, juillet 2005, Modified Vehicles, Jeu, J.L Rescue) que dans la façon de détourner ironiquement des faits divers sanglants (Customize your car) ou des faits historiques relatant traques, arrestations, emprisonnement, etc…(Customize your garden).
Par un effet de redoublement des procédés de « construction » des images de presse qu’il sélectionne pour leur caractère d’image « manipulée », « trafiquée », et dont il questionne à ce titre la valeur d’information, il met en abîme la théâtralité intrinsèque des images médiatiques censées refléter des faits historiques. Par de menus bricolages, par l’orchestration patiente de mises en scène de proximité réalisées avec les moyens du bord, l’artiste s’institue producteur d’images « alternatives » dont les modalités artisanales de production sont censées révéler celles des images sources. Ce faisant, il indexe le malentendu fondamental dont les images font l’objet depuis la nuit des temps : le « procès en légitimité » que subit l’Image depuis Platon, « soit accusée d’être un doublon imparfait de ce qui serait le réel, soit bannie pour trahison de la vérité »[3].
Singer (les gestes d’un soldat rampant au sol dans Switzerland is dangerous), imiter (la facture granuleuse des images de paparazzi dans VIP’S) reproduire pour détourner (le logo de l’ANPE dans ANPE concept car), autant de procédures relevant du jeu et introduisant du jeu comme on le dirait d’un mécanisme bien rodé qui s’enraye. Thierry Verbeke ralentit le flux incessant des images, crée des arrêts sur image pour rappeler que toute image est coproduite, contextuelle et que la chaîne de production dont elle est issue induit de fait des choix successifs qui déterminent un point de vue, portent des intentions. L’image est un lieu de pouvoir. L’histoire nous a montré comment il était par exemple aisé de faire disparaître a posteriori de certaines photographies, des personnages devenus indésirables pour le pouvoir en place[4]. Thierry Verbeke nous incite à nous débarrasser de ce vieux fantasme d’une objectivité, d’une pureté originelle de l’image, en nous susurrant que les nouvelles « fabriques d’images » mondialisées qui alimentent la publicité et les agences de presse internationales constituent à elles seules un monopole particulièrement dangereux pour la liberté de penser.
Lise Viseux, 2007
[1] Laurent Gervereau
Histoire du visuel du XXème siècle, édition augmentée, Seuil, mars 2003, p.174.
[2] Cf. interview de la radio suisse romande et divers autres informations sur la page ad hoc de ce site.
[3] Laurent Gervereau, op. cit., p.9.
[4] Cf. l’exposition intinérante « Les images mensongères » conçue par la Stiftung Haus der Geschichte der Bundesrepublik, Deutschland.